Laissez-vous conter le roi René (1409-1480)
Un héritage inattendu
Les origines
Le roi René naît au château d’Angers le 16 janvier 1409. Il est le fils cadet du duc Louis II d’Anjou (1384-1417), roi de Jérusalem et de Sicile, comte du Maine, de Provence et du Piémont, et de Yolande d’Aragon († 1442), fille du roi d’Aragon Jean Ier et de Yolande de Bar. Au plan politique, la situation de la France est alors pour le moins sombre : la folie intermittente du roi Charles VI (1380-1422) aiguise la compétition entre les princes, la guerre civile qui en découle entre Armagnacs et Bourguignons (alliés aux Anglais) déchire le royaume qui subit aussi de plein fouet la reprise de la guerre de Cent Ans à partir des années 1410. On sait peu de choses de René enfant, mais on le trouve souvent en compagnie du futur Charles VII qui est élevé à la cour angevine et devint par la suite son beau-frère en épousant sa soeur Marie d’Anjou. Un fait est certain : René ne devait pas hériter des territoires de son père puisqu’ils étaient promis à son frère aîné Louis III. Aussi, Yolande d’Aragon, devenue veuve, entreprit-elle de lui trouver ailleurs des possessions.
Les premiers territoires
En 1419, René fut donc adopté par son grand-oncle le cardinal Louis de Bar qui avait obtenu le titre ducal en Barrois une fois tout son lignage décimé lors de la déroute française d’Azincourt (1415). En 1420, âgé de onze ans, René est marié à l’héritière du duché de Lorraine, Isabelle, à Nancy. Il est prévu qu’il deviendra duc de Bar à sa majorité (en 1424) et duc de Lorraine à la mort de son beau-père Charles II († 1431). Durant ces années, René fait le difficile apprentissage du métier de prince, qui plus est d’un prince déraciné et contesté par plusieurs compétiteurs, dont Antoine de Vaudémont, soutenu par les Bourguignons. Face à ses adversaires, il connaît son premier échec lors de « la piteuse et douloureuse journée » de Bulgnéville (2 juillet 1431) où il est battu, fait prisonnier et retenu en captivité par son cousin le duc de Bourgogne jusqu’en 1437. Il est vrai qu’entre-temps, la valeur de l’otage avait considérablement augmenté. Parti à la conquête de son royaume de Naples (amputé de l’île de Sicile), son frère Louis III y périt en novembre 1434 sans laisser d’enfant.
Des campagnes difficiles
De fait, René devient alors duc d’Anjou, comte du Maine et de Provence. Par ailleurs, en février 1435, en vertu du testament de la reine Jeanne II de Naples qui avait déjà adopté son frère, René devient également héritier du royaume napolitain. Le mirage italien s’ouvrait à lui.
Un prince itinérant
Voilà le jeune héritier inattendu paré de titres prestigieux - qu’il n’oublie jamais de rappeler dans ses actes comme dans ses armoiries - où se côtoient royaumes, duchés et comtés : Jérusalem et Sicile, Anjou, Bar et Lorraine, Maine, Provence, Forcalquier et Piémont. Autant de territoires éparpillés entre lesquels vont se dérouler pendant près d’un demi-siècle la vie et les échecs de ce prince itinérant. Enfin libéré des geôles bourguignonnes en 1437, il fait au printemps 1438 son entrée à Naples, où l’a précédé Isabelle de Lorraine pour tenter de résister à l’offensive du roi d’Aragon Alphonse V qui tient déjà la Sicile. René doit composer avec le manque d’argent et d’hommes, la versatilité et la trahison, et surtout la supériorité de l’adversaire qui le contraint à abandonner Naples en juin 1442, vaincu. Il se rend alors en Provence puis en Lorraine avant de servir Charles VII (1422-1461) dans la reconquête de son royaume, notamment en Normandie. Au cours de son règne, il effectue trois séjours en Anjou: en 1445-1447, entre 1449 et 1457 (excepté un bref passage en Provence et une nouvelle campagne infructueuse en Italie en 1453-1454), et de 1462 à son départ définitif de l’Anjou en 1471 (sauf une année passée en Lorraine et une autre en Provence). Au total, René, en tant que duc, n’a passé qu’une quinzaine d’années en Anjou.
Une sombre fin de vie
L’existence de René, orphelin de père à l’âge de huit ans, a été endeuillée par la perte de la plupart de ses proches. Il voit disparaître tour à tour chacun de ses cinq frères et soeurs. Entre-temps, en février 1453, l’énergique Isabelle de Lorraine meurt à l’âge de quarante-trois ans. Veuf inconsolable, malgré son remariage dès l’année suivante avec Jeanne de Laval, il rédige alors le Mortifiement de vaine plaisance, oeuvre allégorique qui dresse une sorte de théâtre de la conscience opposant l’âme possédée par l’amour divin au coeur retenu par les tentations du monde. De ses enfants, tous issus de son premier mariage, seules deux filles lui survivent : Yolande, qui épouse Ferry de Vaudémont et de laquelle descend la branche angevine des ducs de Lorraine, et Marguerite, épouse du roi d’Angleterre Henry VI. Outre plusieurs enfants morts en bas âge, René perd en 1470 son fils aîné Jean de Calabre et trois ans plus tard le fils de ce dernier, Nicolas, ce qui le prive d’héritier mâle en ligne directe et condamne l’Anjou à revenir à la couronne de France à sa mort, en 1480.
René en Anjou
L’apanage angevin, concédé en 1356 par le roi Jean II le Bon à son fils Louis Ier, le grand-père de René, est un vaste territoire de plus de 7000 km2 dans lequel le duc dispose d’un domaine important – notamment de vastes forêts – et de plusieurs forteresses, à Angers, aux Ponts-de-Cé, à Baugé, Beaufort-en- Vallée (qu’il laisse en douaire à Jeanne de Laval) et Saumur. Tout au long de son règne, René acquiert et fait aménager de nombreux manoirs où il se plaît à mener une vie retirée : Chanzé, Épluchart, Reculée et Rivettes autour d’Angers, ou La Ménitré et Launay dans la vallée de la Loire.
René renforce le rôle d’Angers comme capitale du duché. C’est là que siège le Conseil ducal, ainsi que la Chambre des comptes (réformée en 1437 puis 1464) établie près du château. Il cherche également à développer l’activité textile en attirant des artisans de Normandie, mais sans résultat. Il n’en déserte pas moins l’Anjou à partir de 1471. À cette date, tout concourt en effet à l’essor de l’emprise royale sur la province. Louis XI (1461-1483), son intrigant neveu, guigne l’héritage de René qui vient de perdre son fils et bientôt son petit-fils. En 1474, quand René décide par testament de léguer l’Anjou à son autre neveu Charles du Maine, le roi, furieux, confisque le duché qui ne lui est restitué qu’en 1476 ; mais René doit alors s’engager à laisser en place la mairie instituée par Louis XI pour s’attacher la bourgeoisie et saper l’autorité du duc dans sa capitale, et il doit livrer le château d’Angers à un capitaine du roi.
Le roi René en Anjou
René et le château d’Angers
La puissante forteresse qui surplombe la Maine a été édifiée sous la régence de Blanche de Castille, à partir de 1230, autour de l’ancien palais comtal, encore visible aujourd’hui. Lorsque saint Louis concéda l’Anjou à son frère Charles Ier, le château devint dès lors le symbole de la puissance des comtes puis des ducs apanagés qui l’ont régulièrement renforcé et aménagé. C’est sans doute pour décorer les grandes salles du palais seigneurial que Louis Ier commanda la tenture de l’Apocalypse Yolande d’Aragon, qui aimait y séjourner, fit édifier la chapelle actuelle entre 1400 et 1411. Pour le château, le temps du roi René fut une période de construction et d’embellissements : aménagement des appartements et, surtout, construction de la galerie nord du logis royal qui fait suite à la chapelle. Ce logis présente un escalier à vis inscrit dans un carré surmonté d’une voûte où resplendit la devise royale (En Dieu En Soit), des baies à double meneau et traverse entrecroisés, de belles croisées d’ogives aux clés armoriées et d’imposantes cheminées (aujourd’hui disparues). La dernière construction de René au château d’Angers est le châtelet, charmant logis à deux étages scandés de pilastres (rappelant ceux de Saumur) qui vient parfaire et enclore la cour seigneuriale. Entiché de ses jardins, René a aussi tenté, en vain, d’aménager des fontaines pour alimenter les vergers et les carrés de fleurs parcourus d’allées couvertes dans le vaste périmètre du château.
René et la collégiale Saint-Martin
Animé par une dévotion sincère, René fut un grand bienfaiteur des églises de ses domaines – comme les autres princes de son temps, puisque les manifestations de piété sont aussi une façon de briller et d’affirmer son rang. Il a par exemple offert des ornements ou des reliques à diverses églises d’Angers (cathédrale, abbaye du Ronceray, église paroissiale Sainte- Croix…). Les princes angevins avaient toutefois une relation particulière avec deux églises de la ville, toutes deux de fondation comtale et desservies par un collège de chanoines : la collégiale Saint-Laud, établie hors les murs en face de la Porte-des-Champs du château, dont il ne reste rien, et la collégiale Saint-Martin. Le chapitre Saint-Martin a été institué par le comte Foulques Nerra et sa femme Hildegarde en 1029. À l’époque de René, il comprenait un doyen, un chantre (responsable de la liturgie) et neuf chanoines. En tant que fondateur né, le duc avait le droit de nomination de ces clercs, de sorte que l’on retrouve dans ce chapitre des officiers du prince et des membres de son proche entourage (aumônier, confesseur…). René fit entreprendre d’importants travaux dans l’église Saint-Martin ; c’est notamment grâce à ses dons que les murs du transept furent surélevés vers 1471 et recouverts d’une nouvelle charpente où ses armes rappellent encore sa libéralité.
Un mécène généreux
René et le couvent de la Baumette
Nés au XIIIe siècle, les ordres mendiants ont toujours bénéficié de la faveur des princes angevins et René ne déroge pas à cette tradition. Par ses largesses, il a contribué à des travaux dans différents couvents de Provence (Dominicains de Marseille ou de Saint- Maximin) ou d’Anjou (cloître des Carmes d’Angers par exemple) et leur offrit à diverses reprises des ornements ou des livres liturgiques. Dans ces ordres, René d’Anjou soutient en particulier le mouvement de l’Observance qui, depuis la fin du XIVe siècle, entend rétablir les usages originels et retrouver l’esprit de grande austérité des fondateurs, en prônant une vie érémitique à l’écart de la société. En 1452, René qui goûte aussi cette vie solitaire, fonde aux portes d’Angers (à côté de son manoir de Chanzé) un couvent pour des Franciscains observants, près d’une grotte assimilée à la Sainte-Baume où avaient été retrouvées les reliques de Marie-Madeleine pour laquelle il avait grande dévotion. Le couvent, appelé Baumette, bâti sur les paliers successifs d’un rocher, fut rapidement victime du ruissellement des eaux de pluie, mais rencontra bientôt la faveur des Angevins. La même année, René faisait aménager, cette fois dans l’ancien couvent franciscain de la ville, une chapelle destinée à recevoir son cœur après sa mort et placée sous la dédicace du grand promoteur de l’Observance franciscaine, saint Bernardin de Sienne († 1444).
Un prince dévot
Le tombeau de René à la cathédrale d’Angers
À la fin du Moyen Âge, l’attitude des princes face à la mort s’inspire étroitement des pratiques royales, avec notamment l’élection d’une nécropole dynastique (le plus souvent dans une abbaye ou un couvent mendiant) et la partition de la dépouille (en général corps-coeur-entrailles) de manière à multiplier les lieux d’inhumation. Le choix original d’une cathédrale comme nécropole, celle de Saint- Maurice d’Angers, revient au père de René, Louis II, en 1417 (même si Louis Ier y avait déjà fait déposer son coeur). Dans ses trois testaments successifs, sans varier, René choisit cette église pour sa dépouille corporelle et la chapelle Saint-Bernardin pour son coeur. Entamée vers 1450, la construction du tombeau a été un des grands projets de son règne. Ce monument adoptait la forme d’un
enfeu, sous la deuxième arcade nord du choeur, près du modeste tombeau de son père, avec un sarcophage dont la table de marbre noir supportait les gisants de René et d’Isabelle de Lorraine. Au-dessus était représentée la figure du Roi mort, symbole de la vanité des choses terrestres ; les armoiries peintes du roi étaient portées par deux aigles. À côté de la sépulture se trouvait l’autel où étaient dites les messes pour le salut de l’âme des défunts, orné d’un retable sculpté de la Crucifixion. Ce tombeau, déjà endommagé par les Huguenots, a définitivement disparu à la Révolution.
Le 10 juillet 1480, René meurt à Aix-en- Provence. Aussitôt, les Provençaux déposent son corps à la cathédrale Saint-Sauveur et ses entrailles aux Carmes de la ville. Mais un an plus tard, grâce à un subterfuge de Jeanne de Laval, sa dépouille est enlevée et ramenée à Angers afin de rejoindre les deux dernières demeures qu’il avait prévues pour son corps et son cœur.
Mémoire et légende du roi René
Voilà le souvenir de René installé en Provence et en Anjou. C’est là que va se développer la légende du « bon » roi René, déjà sous la plume du chroniqueur angevin Jean de Bourdigné qui en 1529 dresse le portrait édifiant d’un protecteur du pays et de l’Église, défenseur du peuple et amoureux de la paix. Depuis lors, le tableau n’a cessé d’être remodelé par les auteurs, au gré de leur inspiration et des enjeux de leur époque. Le roi René ne doit pas cette survie à ses rares succès politiques ou militaires ; il est d’ailleurs plutôt d’usage de souligner la faible intelligence de ce prince en cette matière - ainsi Shakespeare raille-t-il (dans son Henry VI) ce roi « miséreux, sans sujets, sans fortune et sans couronne ». Il ne la doit pas non plus à son œuvre littéraire, dont certains ont dénoncé la banalité voire la médiocrité. La légende tient peut-être au personnage, sans doute à son mécénat fastueux et à sa réputation - à réviser - de précurseur de la Renaissance, mais aussi à une dimension mémorielle dans ses anciens territoires qui, avec sa mort, perdirent leur statut de principautés, l’Anjou dès 1480 et la Provence l’année suivante.
- Glossaire :
*Apanage : territoire donné aux frères ou aux fils cadets d’un roi en compensation de leur exclusion de la couronne.
*Chanoine : clerc membre d’un chapitre (ou communauté) desservant une église cathédrale ou collégiale, titulaire d’un canonicat et bénéficiaire des revenus de sa prébende.
*Douaire : droit de l’épouse survivante sur certains biens de son mari défunt.
*Enfeu : niche funéraire à fond plat pratiquée dans les murs des églises pour y recevoir des tombes.
*Gisant : statue représentant un mort étendu.
*Meneau : montant vertical qui, avec une traverse de pierre horizontale, forment une croisée.
*Pilastre : membre vertical plat ou engagé dans un mur et formant une légère saillie.
Jean-Michel MATZ, Professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université d’Angers
2009
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