Le Père-Lachaise angevin

Durant l’Antiquité, les cimetières étaient relégués à l’écart des vivants, loin aux extrémités des villes. L’époque carolingienne les ramène au coeur des cités, à l’ombre des églises. Au milieu du XVIIIe siècle, Angers compte seize paroisses urbaines, onze cimetières intra-muros et quatre en dehors des murailles. Mais, par souci d’hygiène, l’édit royal du 10 mars 1776 ordonne de transférer les cimetières hors des villes du royaume.

À Angers, les opérations sont effectuées quelques années avant la Révolution. Pour autant, les cinq nouveaux cimetières du début du XIXe siècle restent proches des habitations. Trop proches et trop restreints. Ils sont remplacés par deux vastes champs de repos, dénommés suivant leur emplacement géographique : le cimetière de l’Ouest pour la rive droite de la ville, celui de l’Est, pour la rive gauche.

C’est en 1834 que le conseil municipal, après avoir hésité entre la Chalouère et le quartier des fours à chaux, décide d’ouvrir le nouveau cimetière de l’Est sur le chemin d’Angers à Saint-Barthélemy, dans un terrain vallonné « qui a le mérite surtout d’un isolement presque complet ». Trois propriétaires principaux vendent les terrains de leurs fermes, en particulier ceux des Petites-Rates et du Puits-Garnier.

Une nouvelle nécropole en 1848

L’endroit est clos de grands murs entre 1837 et 1840. Le cimetière, de forme triangulaire, figure au cadastre de 1842. Les plantations existantes sont complétées, des allées tracées. À l’image du Père-Lachaise parisien, le « Père-Lachaise » angevin apparaît comme un parc romantique, à l’anglaise : huit rectangles symétriques sont enveloppés par un réseau d’allées sinueuses. En point d’orgue, la chapelle néoromane, bâtie par Ernest Dainville entre 1868 et 1870 sur une double initiative : celle d’un comité de dames pieuses, présidé par l’épouse du maire Montrieux et celle de la ville elle-même, qui souhaitait aménager une crypte-ossuaire pour rassembler les ossements provenant des anciens cimetières supprimés. La façade est une interprétation de celle de Notre- Dame-la-Grande de Poitiers.

La nouvelle nécropole, bénie le 12 décembre 1847 par Mgr Angebault, ravive et solennise le culte des morts. L’éloignement du lieu occasionne l’apparition de nouveaux rites : emploi d’un corbillard - pour la première fois à Angers - nouveau règlement des pompes funèbres, nouveaux tarifs avec six classes pour les inhumations, messes régulières pour les défunts à la chapelle.

La première inhumation est celle du meunier René Bougère, décédé le 20 janvier 1848. Il demeurait en voisin aux Deux-Croix et avait vendu un petit terrain pour compléter le cimetière. Sa tombe est toujours conservée. De 4,72 hectares à son ouverture, le cimetière compte actuellement 13,36 hectares. C’est un grand livre d’histoire angevine, mais aussi un musée en plein air où l’on peut suivre l’évolution de l’histoire de l’art. Aujourd’hui, les pratiques évoluent vers le développement de la crémation, qui supprime les monuments funéraires : un jardin du souvenir, le premier de Maine-et- Loire, a été créé en 1982, augmenté par la suite de trois jardins cinéraires et d’autant de columbariums.

Parcours dans l’histoire angevine

Tombeaux remarquables au titre de l’art et de l’histoire

1 - Georges SAULO (1865-1945), sculpteur, dont on retrouve plusieurs oeuvres au cimetière. La tombe était autrefois ornée d’un médaillon de bronze ou de marbre.

2 - Alexandre HÉRAULT (1816-1899), philanthrope original, obtenteur de nouvelles variétés de melons et de poires. Il a légué toute sa fortune – 900 000 F – à la Ville d’Angers. Son buste en bronze, qui domine une tombe monumentale, est l’oeuvre de Saulo.

3 – Chapelle de la famille COINTREAU, industriels liquoristes, édifiée en 1924. Édouard Cointreau (1849-1923) a mis au point vers 1875 la liqueur blanche parfumée au zeste d’orange qui deviendra fameuse.

4 - Chapelle CLAMENS-GOXE. Belle porte dans le style Art nouveau. Jean Clamens (1850- 1918), maître verrier, dirigeait un important atelier de vitraux, situé face au château. Il a notamment réalisé les vitraux de la chapelle du cimetière.
5 - Chapelle MONDAIN. Rémy Mondain (1848-1908) a créé en 1875 le premier grand magasin d’Angers, avec Rémy Chanlouineau et Louis Volerit.

6 - Jules-Eugène LENEPVEU (1819-1898), artiste peintre, spécialiste des vastes décorations : plafonds de l’Opéra de Paris et du théâtre d’Angers, histoire de Jeanne d’Arc au Panthéon…Le haut monument en marbre blanc est orné du buste en bronze de l’artiste, par Injalbert.

7 - Pierre-Théophile BERTON (1827-1894), inventeur d’un système d’ailes de moulin à vent, figuré sur sa stèle. ISMH*

8 - Grégoire-René LECOINDRE, curé de Saint- Laud (1801-1858). Tombe exceptionnelle, la seule du département en forme de gisant. En fonte, l’ecclésiastique est revêtu de ses ornements sacerdotaux, un calice entre les mains. Ses pieds reposent sur une licorne. C’est un bel exemple de la vogue du Moyen Âge au XIXe siècle. ISMH

9 - Jean DAUBAN (1790-1868), directeur de l’école des Arts et Métiers d’Angers, père de Jules, le peintre. Son buste, juché sur une courte colonne à chapiteau proéminent, est dû à l’Angevin Julien Roux, qui a oeuvré à la façade du théâtre, place du Ralliement. ISMH

10 - Anselme-François PAPIAU de LA VERRIE (1770-1856), maire d’Angers de 1813 à 1815. Monument en marbre blanc, très simple, en forme de cippe*,  orné de la figure de la Religion par David d’Angers : seule oeuvre de l’artiste pour le cimetière, la clientèle angevine n’appréciant pas ses idées républicaines trop prononcées. ISMH

11 - René BOUGÈRE, « doyen de ce lieu de repos », mort le 20 janvier 1848. Monument en fonte, en forme de petit temple antique avec fronton et acrotères* à palmettes, orné d’un vocabulaire décoratif symbolique : lampes à huile allumées, chouettes, sabliers, croix grecques. ISMH.

12 - Chapelle néoclassique à dôme de la famille de MIEULLE, édifiée en 1849 pour Joseph- François de Mieulle. Originaire de Sisteron, nommé receveur général des finances à Angers en 1815, il est à l’origine de l’implantation angevine de cette famille.

13 - Julien DAILLIÈRE (1812-1887), poète, lauréat de l’Académie française, fondateur d’un prix de poésie. Son tombeau était orné d’une copie en bronze - mise en réserve - du Penseroso réalisé par Michel-Ange, cadeau de Napoléon III  pour remercier l’écrivain de sa pièce de théâtre, L’Aigle.

14 - René BELLENGER (1838-1914), marbriersculpteur. Il a lui-même sculpté sa stèle, d’une représentation d’un cimetière au début du XXe siècle, probable image du cimetière de l’Est où il travaillait souvent.

15 - Jules DAUBAN (1827-1908), peintre, conservateur du musée des Beaux-Arts d’Angers pendant quarante ans et directeur de l’école des Beaux-Arts. Il a notamment décoré le foyer du théâtre et la chapelle de l’hospice Sainte-Marie à Angers.

16 - Abbé PINEAU (1839-1885), curé de Saint- Joseph (1877-1885), à l’origine de la construction de l’orgue Cavaillé-Coll de l’église Saint-Joseph. Monument d’André et Moisseron en forme de ciborium* néoroman abritant le buste de l’ecclésiastique. 17 - Abbé René-Prosper BACHELOT, curé de Saint-Serge (1872-1898), surnommé le saint Vincent de Paul de Saint-Serge. Sa tombe est toujours fleurie.

18 - Chapelle de la famille BOUGÈRE. Laurent Bougère (1864-1918), banquier, député de Maine-et-Loire, membre de la commission de l’Armée à l’Assemblée nationale, conseiller général et municipal. Ferdinand Bougère (1868-1932), son frère, banquier, député, puis sénateur.

19 – MAX RICHARD (1818-1901), l’un des principaux filateurs angevins, associé à Laîné- Laroche qui introduit les premiers métiers « self-acting » mus à la vapeur, député de 1871 à 1876. Jouxtant le monument de Max Richard, celui d’Émile Segris, également industriel-filateur (1838-1917) qui épousa Louise Max Richard.

20 - Chapelle LAURENT, construite vers 1880. Bel exemple de style néorenaissance, particulièrement élégant, riche en ornements sculptés : pilastres, coquilles, rinceaux, putti…

L’histoire de l’art à travers les monuments funéraires

21 – Chapelle des familles LEROY et alliées. André Leroy (1801-1875), fondateur de l’horticulture moderne, auteur d’une encyclopédie arboricole en six volumes. Eugène Appert (1814-1867), peintre d’histoire. Édouard Loriol de Barny, maire d’Angers en 1877.


22 - Félix LORIOUX (1872-1964), dessinateur, illustrateur des fables de La Fontaine, auteur de nombreux albums pour les enfants. Walt Disney s’est inspiré de ses dessins et s’est adressé à lui à plusieurs reprises.

23 - Joseph-François JOUBERT, époux Bonnaire (1756-1822), industriel propriétaire des fabriques de toiles à voile d’Angers et de Beaufort, maire d’Angers (1801-1808), député (1808-1820).

24 – Chapelle de la famille de CONTADES, de style néoclassique. Les marquis de Contades ont donné à la France un grand nombre d’administrateurs et de militaires, en particulier Louis, maréchal de France en 1758. La chapelle a été bâtie pour Méry (1786-1869), ancien préfet du Puy-de-Dôme sous l’Empire, conseiller municipal d’Angers et conseiller général du département.

25 - Chapelle BESNARD-BESSONNEAU, industriels du textile. Julien Bessonneau (1842- 1916) a réuni toutes les industries textiles d’Angers en 1901 en créant la Société anonyme des filatures, corderies et tissages d’Angers. À  son décès, il employait plus de 6 000 ouvriers. 

26 - Jean Sarret, originaire du Cantal, introduit la fabrication du parapluie à Angers en 1840. Grâce à lui et aux Lafarge ses successeurs, la ville devient l’un des principaux centres de production de cet article en France. La chapelle de Léon Lafarge (1860- 1937) est visible au carré 28.

27 - P. LEMESLE (1837-1906), président de la société de plaisir de l’Étoile, située dans la Doutre, rue Dindron. Stèle originale en fer surmontée d’un médaillon de bronze représentant le défunt.

30 - Colonne commémorative de la catastrophe du pont suspendu de la Basse-Chaîne. Le 16 avril 1850, il s’effondre au passage des soldats du 11e léger. 225 victimes périssent dans la Maine.

31 - Famille de SAINT-PERN. Tombe en granit à l’imitation d’un calvaire breton, élevée vers 1939, rappelant l’origine géographique de la famille.

32 - André BRUEL (1894-1978), relieur, éditeur,érudit, président de l’Académie d’Angers. En 1937, une médaille d’or de l’Exposition universelle couronne son talent pour la reliure. Ce succès lui vaut la clientèle de grands écrivains comme Colette, Roland Dorgelès, les Daudet, René Bazin, Paul Géraldy… Il a publié les  « Carnets de David d’Angers ». 

33 - Famille DE GUISTI, entrepreneurs mosaïstes. La tombe, en forme de cube, est entièrement décorée de mosaïques représentant les trois âges de la vie.

34 - Carré des Angevins morts pour la France en 1914-1918.

35 - Carré des Angevins morts pour la France en 1939-1945.

36 - Carré des Angevins morts pour la France lors des guerres de 1939-  1945, d’Indochine et d’Afrique du Nord.

 

  • Glossaire :

*Acrotère : Socle aux extrémités ou au sommet d’un fronton, servant de support à des ornements.
*Ciborium : Baldaquin placé au-dessus du maître-autel dans les basiliques chrétiennes.
*Cippe : Petite colonne sans chapiteau, ou colonne tronquée, servant de monument funéraire.
*ISMH : Inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

 

Sylvain Bertoldi

 Conservateur en chef des Archives d’Angers

 2005

Découvrez le cimetière de l’Est

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